Prise d’acte de la rupture aux torts de l’employeur : salariés, attention danger !

Si la LOI n° 2014-743 du 1er juillet 2014 relative à la procédure applicable devant le conseil de prud’hommes dans le cadre d’une prise d’acte de rupture du contrat de travail par le salarié a accéléré la procédure en permettant un accès direct au bureau de jugement dans le délai d’un mois de la saisine, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a, quant à elle, par son arrêt en date du 26 mars 2014, ajouté à la jurisprudence sur la prise d’acte de la rupture, une condition singulière, rendant ce mode de rupture particulièrement dangereux pour les salariés qui souhaiteraient encore prendre le risque d’y recourir.

En effet, pour les non initiés, on rappellera que la prise d’acte de la rupture par le salarié, permet à ce dernier de rompre le contrat de travail en cas de manquements suffisamment graves de l’employeur.
Il est à noter que la prise d’acte de la rupture est, pour l’instant encore, consacrée exclusivement par un cadre jurisprudentiel et non légal et aucune disposition du Code du travail n’est à ce jour applicable.
Cette prise d’acte de la rupture produit les effets d’un licenciement avec les dommages intérêts afférents outre l’indemnité compensatrice de préavis et l’indemnité de licenciement dès lors que le Conseil de Prud’hommes, saisi par le salarié, considère que les manquements à l’origine de la prise d’acte sont suffisamment graves.
L’on rappellera que le Conseil de Prud’hommes a toute souveraineté pour apprécier la gravité des manquements reprochés par le salarié à l’employeur.
Cette appréciation souveraine des manquements de l’employeur par le Conseil, a pour conséquence, déjà consacrée par la jurisprudence antérieure que, si le Conseil de Prud’hommes vient à considérer que les manquements reprochés ne sont pas suffisamment graves, la prise d’acte de la rupture est requalifiée en démission, privative des indemnités Pôle Emploi.
Jusqu’alors, la Cour de Cassation considérait que le manquement à l’obligation de sécurité, obligation de résultat à laquelle est tenu l’employeur, constituait un manquement suffisamment grave pour justifier une prise d’acte qui devait alors s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. Soc. 23 janv. 2013 n° 11-18.855).
De la même façon, la Cour de Cassation se montrait également sévère avec l’employeur lorsque les règles relatives aux examens médicaux d’embauche, périodiques et de reprises de travail n’étaient pas respectées : la prise d’acte était alors justifiée et l’employeur condamné à dommages intérêts comme s’il s’agissait d’un licenciement (Cass. Soc. 22 sept. 2011 n° 10-13.568).
Or, de façon stupéfiante, la Cour de Cassation, dans son Arrêt du 26 mars 2014, vient de rendre un Arrêt extrêmement sévère pour le salarié qui a pris acte de la rupture.
Tout en rappelant le principe jurisprudentiel de la prise d’acte déjà consacré depuis plus de 10 ans, à savoir que la prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur, la Chambre sociale de la Cour de Cassation ajoute à ce principe une condition supplémentaire et pas des moindres…
Selon la Chambre sociale, pour que la prise d’acte de la rupture du salarié produise les effets d’un licenciement, il est nécessaire que les manquements de l’employeur empêchent la poursuite du contrat de travail, ce qui n’est, au sens de la Cour, pas le cas de manquements anciens.
La Cour de Cassation précise en effet «  la Cour d’Appel qui a retenu que les manquements de l’employeur étaient pour la plupart anciens, faisait ainsi ressortir qu’il n’avait par empêché la poursuite du contrat de travail et rejette sur ce point le pourvoi du salarié ».
En d’autres termes, les manquements, même avérés, de l’employeur, ne peuvent donner lieu à dommages et intérêts dans le cadre d’une prise d’acte de la rupture si le salarié n’a jamais contesté ces manquements au préalable ou bien n’a pas saisi immédiatement le Conseil de Prud’hommes dès le premier manquement de son employeur.
Cette décision est contraire aux règles existantes qui protègent le salarié qui reste taisant comme notamment en matière de modification du contrat de travail, depuis l’arrêt RAQUIN du 8 octobre 1987.
Il est en effet de jurisprudence constante depuis près de 30 ans, que le silence du salarié ne vaut pas acceptation.
Dès lors, la solution de la Cour de Cassation sur la prise d’acte de la rupture qui sanctionne le salarié qui a poursuivi sa relation de travail malgré les manquements de l’employeur doit-elle être entendue comme l’amorce d’un changement de cap général concernant le silence du salarié?
Cet arrêt suscite à notre sens insécurité et doute quant à ce mode de rupture particulier qu’est la prise d’acte de la rupture.
Néanmoins, au vu de la faible publicité de cet Arrêt (FP-P+B), l’on ne peut qu’espérer qu’il s’agisse d’un arrêt isolé.
Ref: Cass. Soc. 26 mars 2014 n° 12-23.634

Par Maître PARIS
Avocat au Barreau de Nantes
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