INAPTITUDE SUITE A UN MANQUEMENT DE L’EMPLOYEUR : LICENCIEMENT SANS CAUSE RELLE ET SERIEUSE ET COMPETENCE DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES

Par deux arrêts en date du 3 mai 2018, publiés P+B+R+I, la Chambre sociale de la Cour de cassation, au visa des articles L. 1411-1 du code du travail et L. 451-1 et L. 142-1 du code de la sécurité sociale, a clarifié sa position quant à la réparation du licenciement sans cause réelle et sérieuse pour inaptitude et la compétence rationae materiae exclusive du conseil de prud’hommes ainsi que l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement pour inaptitude précédé d’un manquement de  l’employeur.

Ces arrêts de principe, très largement publiés, présentent deux intérêts majeurs.

Le premier intérêt de ces arrêts réside dans les précisions apportées par la Cour de cassation concernant le partage de compétence entre la juridiction prud’homale et le Tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS).

Le second intérêt de ces arrêts concerne les conséquences d’un licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement lorsqu’il est démontré que ladite inaptitude a été provoquée par un manquement de l’employeur.

La solution, rédigée à l’identique dans les deux arrêts, est la suivante :

« Vu l’article L. 1411-1 du code du travail, ensemble les articles L. 451-1 et L. 142-1 du code de la sécurité sociale ;

Attendu, d’une part, que si l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail, qu’il soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, relève de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale, la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer, le cas échéant, une indemnisation au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Attendu, d’autre part, qu’est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu’il est démontré que l’inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l’employeur qui l’a provoquée ».

1 / Un partage clair de compétence entre le Conseil de prud’hommes et le TASS concernant l’indemnisation du salarié :

Selon les articles L.451-1 et L.142-1 du Code de la sécurité sociale, lorsqu’un salarié est victime d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle, l’action en réparation de son préjudice est, en principe, de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale.

Toutefois, dans certaines situations, cette exclusivité n’était pas si évidente et certains employeurs s’engouffraient dans cette faille pour soulever l’incompétence du conseil de prud’hommes au profit du TASS lorsque le salarié, victime d’un accident du travail, agissait en réparation et indemnisation de son préjudice devant le conseil de prud’hommes.

Pour mémoire, la Cour de cassation avait déjà amorcé sa jurisprudence en précisant dans un arrêt du 29 mai 2013 que « si les juridictions de sécurité sociale sont compétentes concernant l’indemnisation du préjudice résultant d’un accident du travail, qu’il soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, la juridiction prud’homale l’est en revanche concernant l’indemnisation du préjudice résultant de la rupture du contrat de travail. »

Cette jurisprudence amorcée en 2013 et affirmée le 3 mai 2018 contraint ainsi le demandeur à un exercice subtil dans la rédaction de son dispositif sollicitant condamnation de l’employeur.

Un salarié souhaitant être indemnisé de son préjudice né d’un accident de travail, doit ainsi formuler sa demande d’indemnisation devant le Tribunal des affaires de sécurité sociale.

En revanche, en ce qui concerne le salarié qui engage une action judiciaire visant à réparer le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ou l’absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement, force était déjà de constater que seul était (et est toujours) compétent le conseil de prud’hommes (Cass., Soc., 29/05/2013, n°11-20.074).

Malgré cette précision, quelques difficultés d’application demeuraient car il n’existait pas de délimitation parfaitement claire de ce partage de compétence.

C’est désormais le cas, grâce aux arrêts du 3 mai 2018.

Dans les deux espèces, il s’agissait de salariés victimes d’accidents du travail ayant été licenciés pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le premier salarié demandait la réparation de son préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail, considérant que son licenciement pour inaptitude était dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison de la violation par l’employeur de son obligation de sécurité.

La Cour d’appel de Caen a refusé d’examiner sa demande, estimant qu’elle tendait à la réparation d’un préjudice né d’un accident de travail.

Le second salarié demandait, quant à lui, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, au motif que par son manquement à l’obligation de sécurité, son employeur était à l’origine de son licenciement pour inaptitude.

La Cour d’appel d’Agen a considéré que le juge prud’homal était compétent pour statuer sur la demande du salarié.

Afin de mettre fin à ces divergences et éviter une certaine insécurité juridique, la Chambre sociale de la Cour de cassation a tout d’abord réaffirmé sa position en rappelant que « l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail, qu’il soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, relève du tribunal des affaires de sécurité sociale ».

La solution n’est pas nouvelle mais a l’avantage, en l’espèce, de bénéficier d’une publicité étendue.

La Cour ajoute en revanche que « la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer, le cas échéant, une indemnisation au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ».

La Cour de cassation a ainsi reformulé de façon claire et explicite le principe dégagé par la jurisprudence du 29 mai 2013.

Les compétences du TASS d’un coté (indemnisation du préjudice lié à l’accident du travail) et du Conseil de prud’hommes d’un autre coté (indemnisation du manquement à l’obligation de sécurité et indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse) sont désormais parfaitement identifiables et aisément compréhensibles.

2 / L’apport majeur des arrêts du 3 mai 2018 sur les conséquences d’un manquement de l’employeur à ses obligations sur le licenciement du salarié :

Le 2ème intérêt de ces arrêts est sans nul doute l’affirmation par la Cour de cassation de ce « qu’est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu’il est démontré que l’inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l’employeur qui l’a provoquée ».

Ce manquement, et c’est là tout l’intérêt de cet arrêt, n’est pas limité par la Cour de cassation à une obligation particulière de l’employeur.

La solution, très courte, ne s’embarrasse pas de conditions restrictives.

La Cour précisant même que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse lorsqu’il a été démontré que l’inaptitude était consécutive « à un manquement préalable de l’employeur »

Cette formulation n’est pas le fruit du hasard.

L’on rappellera que les arrêts du 3 mai 2018 ont bénéficié de la plus large publicité possible, ces arrêts sont des arrêts P+B+R+I, autrement dit, des arrêts « 4 étoiles » !

L’on peut en déduire que la Cour a pensé chaque mot de sa solution et soupesé les conséquences de sa solution.

« Un manquement » signifie n’importe quel manquement de l’employeur qui a provoqué l’inaptitude.

Si la Cour avait souhaité une solution différente, elle aurait précisé le manquement visé.

Ainsi, il peut s’agir de toutes les obligations mises à la charge de l’employeur telles que l’obligation de sécurité, de formation ou de loyauté dès lors que leur manquement a provoqué l’inaptitude du salarié.

Cette solution avait là encore été déjà amorcée par la Cour de cassation, qui avait notamment considéré dans un arrêt de 2012 qu’un licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement était dénué de cause réelle et sérieuse, l’inaptitude faisant suite à des manquements de l’employeur à son obligation de sécurité (Cass., Soc., 26/09/2012, n°11-14.742).

Toutefois, c’est la première fois que les juges énoncent un principe général de manière aussi claire.

Ici, il n’est plus question de circonscrire la solution aux manquements de l’employeur à son « obligation de sécurité ».

La Cour de cassation a sciemment étendu sa solution à tout manquement préalable de l’employeur.

Par ailleurs, la formulation générale de la Cour de cassation permet de considérer que cette solution concerne aussi bien une inaptitude d’origine professionnelle, qu’une inaptitude d’origine non-professionnelle.

Enfin, la très large publication prévue pour ces arrêts démontre, sans conteste, la volonté des juges d’établir un principe général.

Au demeurant, dans sa note explicative jointe aux arrêts du 3 mai 2018, la Cour de cassation explique que cette solution doit être reliée au principe selon lequel il incombe aux juges du fond de rechercher, au-delà des énonciations de la lettre de licenciement, la véritable cause de ce licenciement (Article 12 du Code de procédure civile et Cass., Soc., 10/04/1996 n°93-41.755).

Un bémol figure néanmoins dans cette même note explicative.

Celle-ci souligne que l’indemnisation du salarié victime est circonscrite aux seules conséquences de la rupture abusive ou illicite du contrat de travail.

Ainsi, le salarié ne peut obtenir des dommages et intérêts au titre de la perte de son emploi ou de ses droits à la retraite, ces derniers étant déjà octroyés par le Tribunal des affaires de sécurité sociale en application des dispositions relatives à l’indemnisation des préjudices résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.

Ce sont donc bien les dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui sont visés.

Pour rappel, concernant l’indemnisation du salarié victime d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les dommages et intérêts ne doivent pas être limités, à notre sens, au plafond des ordonnances Macron.

En effet, ce plafond est nul au regard de l’article 10 de la Convention 158 de l’Organisation Internationale du Travail et de l’article 24 de la Charte sociale européenne.

Voir à ce titre notre article « Indemnités prud’hommes : nullité du barème Macron ».

Ref : Cass., Soc., 03/05/2018, n°17-10.306 et n°16-26.850

Romane BASLE, Master II Droit et Pratique des Relations de Travail ( DPRT promotion EDF).

Sandrine PARIS, Avocat associé, Société d’avocats ATALANTE AVOCATS.

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